Non, je ne suis pas un garçon manqué

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Peut-être manquons nous cruellement d’originalité et n’arrivons pas à imaginer qu’une fille qui joue à ce dont elle a envie et est physiquement bien dans ses baskets est juste une enfant épanouie ? Quoi qu’il en soit, il est toujours intéressant de se pencher sur le sens d’une expression si populaire. Alors être un garçon manqué, ça veut dire quoi ? C’est souvent une expression que l’on adresse aux petites filles qui ne correspondent pas aux attentes que l’on a d’elles en tant que filles, soit d’être sage, gentille, discrète, délicate, souriante, coquette. En somme, tout ce qu’on n’attribue pas, par opposition, aux garçons. Eux peuvent faire du bruit, c’est admis, se dépenser, prendre de la place, être casse-cou et polisson, se salir ou parler fort. Ce sont même des comportements valorisés, c’est ce que l’on attend d’eux, et le contraire serait inquiétant. Implicitement ça revient à dire que le masculin prévaut sur le féminin et que tout ce qui lui correspond est valorisé : tellement que les petites filles feraient mieux de leur ressembler -aux garçons-. Littéralement : Mince tu aurais pu être un garçon, mais tu es une fille ! Si on détricote le sens de cette expression, cela revient à dire : tu es une fille, mais tu reproduis des comportements dits « de garçons », du moins que l’on associe aux garçons. En d’autres termes, tu transgresses ton genre en ne te pliant pas à ce qu’on attend de toi en tant que petite fille. Donc d’une certaine manière c’est grave car cela revient à perpétuer la hiérarchie entre les sexes, et à faire entrer dans la tête des enfants que c’est franchement plus chouette d’être un garçon.

Mais c’est une expression positive, non ?

Oui d’une certaine manière elle peut être reçue de deux manières, mais ça reste une expression problématique. En la recevant comme un compliment cela montre qu’à force de dénigrer le féminin et tout ce qui va avec, la petite fille va sentir comme une fierté d’être associée et comparée à un garçon (« moi j’ai plein de copains garçons et je joue au foot, les filles c’est nulle ça fait trop de chichis »). Cela crée un dénigrement des autres filles, se sentir au dessus parce que plus proche des comportements masculins. Cette expression peut aussi être réçue négativement, comme quelque chose de très blessant qui peut résonner comme un reproche : tu es bizarre, tu ne corresponds pas à la norme! Si on lit entre les lignes, celà revient à dire que ton apparence et tes centres d’intérêts ne sont pas conformes… En termes de confiance en soi, on a vu mieux…  Les filles intègrent qu’être un garçon c’est mieux et que toutes les activités qui leur sont associées sont franchement plus chouettes et plus valorisées.

Ce qui est d’autant plus révélateur est le fait qu’il n’existe pas d’équivalent masculin. Une fois encore cela montre bien que derrière ces expressions complètement banalisées se cachent des stéréotypes de genre qui façonnent les rapports filles-garçons : très tôt les garçons intègrent qu’être une fille c’est moins bien – il ne faudrait pas risquer d’être trop efféminé et de passer pour un homosexuel- .  Or, nous ne le dirons jamais assez: les goûts, appétences, mimiques… d’un enfant ne définissent pas sa future sexualité, c’est complètement décorrélé.

Pourquoi faut-il en finir avec cette expression ?

  • Parce qu’in fine, on pousse les enfants à de l’auto censure, on invalide leur personnalité, leurs choix si ils ne correspondent pas à la norme de genre. 
  • Parce qu’elle perpétue une essentialisation/naturalisation des comportements/goûts/aptitudes des enfants.
  • Parce que, jusqu’à preuve du contraire, on dispose d’un vocabulaire vaste et varié et qu’il existe des alternatives non sexistes: une fille téméraire, intrépide, espiègle… et que c’est tout à fait acceptable d’être tout cela sans être comparée à un garçon.